Isegoria

Ils s’étaient jetés sur lui et avaient déchiré ses vêtements. Il se trouva nu.
‒ Croyais-tu que nous allions rester encore longtemps sans rien faire, à t’observer sans rien dire ?
‒ À mort !
‒ Pensais-tu pouvoir t’enrichir et profiter de tout impunément ?
‒ À mort ! Oui, à mort !
Les prédicateurs de la mort : le cyclope et sa fille, qu’il engendra seul, monstre biface (hydre d’un côté et harpie de l’autre), exhalant son poison dans un ricanement hystérique en agitant ses cheveux jaunes hirsutes d’où jaillissent des flammèches, hypnotisant de son regard blanc et de son corps androgyne (ou plutôt asexué, sans détail marquant sinon la rugosité des formes, capable d’ensorceler dans le même temps le mâle bas sur pattes essoufflé par ses aboiements inutiles et la femelle frustrée, aux muscles tendus et à la peau humide) une meute de loups au pelage gris foncé s’abritant derrière eux, éructant, hurlant dans l’attente du dépeçage.
‒ Oui, à mort ! Car il en va de notre ripaille.
‒ À mort ! Ce qui nous appartient doit nous revenir.
‒ À mort !

Dialogue et récit : le royaume des apparences

Sur cette planète ignorée de l’astronomie, un phénomène étrange s’est produit récemment. Ce qui est sûr, c’est que l’observation et la théorie scientifiques ne contribuent pas à lui donner une signification.
Non que la planète soit sous l’emprise d’un système de croyance primitive, qui pourrait s’expliquer par exemple par la présence des deux lunes dans son ciel, dont l’une est sur le point de s’éteindre, volontairement. (Car les deux lunes troublent la nuit en alternant dans le ciel sans interruption.)
Des deux personnages du récit, l’un a disparu.
Dans une histoire où il ne reste qu’un protagoniste, le dialogue peut évoluer vers le monologue ou vers l’aphasie, une tendance déjà remarquable dans des épisodes précédents grâce au métatexte. Cette solution technique permettant la poursuite du récit malgré tout comporte quand même trop de contraintes stylistiques. Elle ne peut être envisagée.

Non, car cette planète, peuplée en grande partie de grenouilles, s’est dépeuplée en une nuit. Toutes les grenouilles, qui dormaient au fond des mares en attendant la fin de l’hiver, ont décidé que l’attente, troublée la nuit par les deux lunes alternant dans le ciel sans interruption, ne devait pas durer.